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Le stage, un pari commun sur l’avenir

Chronique à retrouver sur Regards d’étudiants.

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Il y a quelques jours je terminais mon second stage de l’année universitaire – le sixième depuis le début de mes études. J’ai effectué des stages dans des structures très diverses : un hôpital, un cabinet d’ingénieurs, un laboratoire du CNRS, des cabinets d’avocats, et récemment au Sénat.

J’ai découvert le papier publié dans Madame Figaro au sujet du stagiaire roi, ce fieffé monstre qui s’impose dans tous les bureaux. L’auteure ne semble pas avoir vu venir le tsunami de réactions par lequel elle allait être emportée. Naturellement, le stagiaire n’ayant rien à faire de son temps de travail il a tout le loisir de traîner sur le Web pour se moquer de ses aînés. C’est d’ailleurs souvent réussi, comme avec ce tumblr.

Beaucoup de stagiaires se sont émus du traitement dont ils ont été les victimes dans cet article. À tel point que l’auteure a dû rajouter à son article une explication par laquelle elle s’excuse auprès de ceux qui auraient pu être blessés. Son propos était pourtant très drôle. Mais toute personne normalement constituée comprend bien qu’un stagiaire normal n’envoie pas à son boss un « Hangover, mec, sorry », accompagné d’un emoji vomi pour s’excuser de son retard suite à la caisse qu’il a prise la veille.

Si donc l’article ne manque pas de sel et se veut un brin moqueur à l’égard du stagiaire « insolent, insubordonné et jalousé », il serait très dommageable qu’il décourageât quiconque de faire un stage. L’expérience du stagiaire est, quoi qu’on en dise, ce qu’il y a de plus enrichissant dans le cursus universitaire. C’est l’occasion de mettre en oeuvre la formation théorique reçue sur les bancs de l’école.

Paradoxalement, la première chose que j’aie entendu en arrivant en cabinet d’avocats était : « ce qu’il y a d’emmerdant avec les stagiaires c’est qu’il faut vous faire oublier tout ce qu’on vous a appris à la fac ». Il s’agit là de la réaction désolée de l’avocat qui fait la moue en lisant votre première consultation juridique parce qu’il la trouve bien trop académique (« on dirait une dissertation ton truc »). L’erreur serait de croire que ce que l’on apprend à la faculté ne sert à rien. En effet, la faculté nous fournit un catalogue de connaissances brutes, retenues de manière plus ou moins synthétique. Mais la faculté ne transforme pas ces connaissances en un produit fini et prêt à l’emploi. Or c’est cela qui est attendu dans le monde professionnel. D’où l’intérêt vital du stage.

Outre l’intérêt technique pour la future vie professionnelle de l’étudiant, le stage a aussi un intérêt humain. Il permet de côtoyer des professionnels et de se faire connaître. Le stagiaire un minimum clairvoyant aura choisi son stage en fonction de l’orientation professionnelle qu’il souhaite prendre, et le stagiaire un brin malin aura choisi précisément sa structure d’accueil en fonction des personnes qui s’y trouvent. Le stage vous permet ainsi de taper dans l’oeil de ceux pour qui vous travaillez. C’est une occasion unique de vous distinguer, de vous faire les dents, de montrer que vous en voulez. Non seulement vous n’avez rien à perdre (on n’attend pas du travail d’un stagiaire qu’il ait la qualité de celui du boss – quoique) mais en plus vous pouvez facilement marquer des points.

Vos maîtres de stage étant rarement autre chose que des humains, et la plupart d’entre eux ayant un coeur en état de fonctionnement, ils sont des êtres doués de sensibilité. C’est là que le stagiaire a toutes les chances de se distinguer, s’il est suffisamment fin psychologue. Une relation stagiaire / boss qui fonctionne bien, avec un stagiaire efficace et un boss pédagogue, a toutes les chances de perdurer à la fin du stage. Le stage est donc un pari commun sur l’avenir, tant pour le stagiaire que pour le professionnel. Le stagiaire qui a fait bonne impression peut raisonnablement espérer revenir, voire conclure un CDI. Le professionnel qui a été efficace peut, lui, espérer avoir touché là un futur collaborateur qu’il aura déjà formé pour beaucoup moins cher qu’un salarié.

Il ressort de mon expérience (et d’ailleurs de l’article de Madame Figaro lui-même) que le stagiaire a une liberté de parole et de proposition que peuvent ne pas avoir les autres collaborateurs. On préfèrera sûrement le stagiaire qui propose, analyse et réfléchit, à celui qui prend des notes sans jamais ouvrir la bouche. La position du stagiaire est en cela plus confortable qu’une autre, parce que lui n’a pas la même pression hiérarchique et pas le formatage maison. Cette possibilité de l’ouvrir (avec parcimonie naturellement) et de participer activement à l’évolution de ma structure d’accueil est ce qui me satisfait le plus dans ma qualité de stagiaire.

Il faut le dire, j’ai eu la chance (certes provoquée) de tomber dans des structures très particulières où tout ce que j’explique ici était facilité.

Lors de mon stage au Sénat, il y a quelques semaines, j’ai travaillé pour une élue, vice-présidente du Sénat, qui n’a rien d’un boss ‘normal’. Le premier jour de mon stage, alors qu’une galère nous était tombée sur le coin de l’oeil et qu’il fallait rédiger en urgence un discours pour dans trois heures, je l’ai jouée YOLO. Me voilà assis à son bureau, en face de la vice-présidente du Sénat, à lui annoncer  que « moi je sais écrire, je peux vous aider ». Rétrospectivement, l’anecdote fait rire tant elle semble arrogante et prétentieuse, mais sur le coup c’était stylé. Elle n’a pas ri, elle, et a écouté mes propositions. Trois heures plus tard, elle m’invitait à assister à son discours donné à la présidence. Elle a été très applaudie, et au fond de moi j’étais très fier de reconnaître mes propres mots. C’était la première fois qu’une personnalité politique disait ainsi ce que je lui avais écrit. Depuis nous sommes restés proches. Je compte revenir travailler à ses côtés dès que j’en aurai le temps. Comme je le disais, les stages ont un intérêt humain indéniable.

Mon stage le plus récent s’est déroulé dans un cabinet d’avocats. Il s’agit d’une structure particulière quant à son histoire. C’est un jeune cabinet qui vient d’ouvrir dans ma ville. La localisation a été un critère déterminant lors de ma recherche de stage. Mais à ce stade, il y avait encore plusieurs cabinets en lice. Tout s’est joué lorsque j’ai eu l’avocate au téléphone. Elle m’explique chercher un stagiaire au profil très particulier. Ma curiosité est piquée au vif. Elle cherche un stagiaire doté d’un profil commercial, qui sache démarcher, dynamiser les relations publiques du cabinet et étoffer son carnet d’adresses. Elle ne me cache pas qu’elle a sélectionné mon CV parmi les autres sur un critère bien particulier : « je me suis dit que pour être élu à votre âge vous deviez avoir des qualités qui pourraient m’intéresser ». Mon humilité déjà mal en point en a pris un coup. C’est donc ce que cette avocate me proposait de faire pour elle qui m’a décidé : lancer son cabinet. L’enjeu était plus important qu’un simple stage : il y avait tout à créer, tout à faire. Je ne risquais pas de m’ennuyer. J’étais attiré par cette mission qu’on ne confiait pas habituellement à un stagiaire. L’expérience a été concluante et très enrichissante. J’ai énormément appris sur le plan de la technique juridique et sur le fonctionnement d’un cabinet d’avocats.

Malgré le ton de l’article de Madame Figaro qui pourrait dissuader les futurs stagiaires, il ne faut pas s’interdire cette expérience. À l’entrée du marché du travail, un recruteur sera plus méfiant à l’égard de celui qui n’a jamais fait un stage (« j’veux pas embaucher un fainéant non plus ») qu’à l’égard de celui qui fait montre d’une certaine expérience du monde professionnel. Le stage, pari sur l’avenir ? Il suffit d’essayer pour s’en convaincre.

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