La Révolution française, datée du 14 juillet 1789, est une invention. Un mythe. L’un des errements que le temps inscrit dans la mémoire collective. Dans l’imagination populaire, le 14 juillet 1789 correspond à la fin de la monarchie, à la fin de l’absolutisme, et à la fin des privilèges. Il n’en est rien.
À l’aube de la Révolution règne sous l’Ancien Régime un pouvoir absolu. L’absolutisme ne se confond pas avec le despotisme. Le pouvoir absolu, dont disposait alors Louis XVI, fait de lui le seul et unique dépositaire de la souveraineté. La théorie juridique de l’absolutisme a été introduite par Jean Bodin en 1576 dans « Les six livres de la République ». Elle se réduit à la maxime « princeps legibus solutus » : le prince est délié des lois. Cela signifie que le prince – ici le roi, le titulaire de la souveraineté – fait et défait la loi sans aucun contrôle. L’absolutisme se réduit à cela et diffère par là du despotisme, pouvoir exercé par celui qui agit indépendamment des lois. Louis de Bonald expliquait au XIXe siècle que « le pouvoir absolu est un pouvoir indépendant des hommes sur lesquels il s’exerce, tandis qu’un pouvoir despotique est un pouvoir indépendant des lois en vertu desquelles il agit ».
Avant 1789, le roi est donc titulaire d’un pouvoir absolu. L’absolutisme dont hérite Louis XVI en 1774 est affaibli, morcelé par un système fiscal inefficace et par l’inertie de la société d’ordres. Louis XVI se montre rapidement désintéressé par l’exercice du pouvoir ; c’est cette faiblesse qui accélérera en partie le processus de la Révolution.
Le roi, sur les conseils du comte de Maurepas, tente de réaffirmer son pouvoir en s’appuyant sur les ordres. Il rappelle ainsi les parlements – et notamment celui de Paris – en 1774. Ces formations de notables ne parviennent pas à remplir leur rôle. Elles s’autodéclarent auprès du roi incompétentes en matière fiscale en 1787 ; elles lui suggèrent de réunir les États généraux. Devant sa difficulté à s’imposer, le roi décide d’ouvrir la voie au consensus en réunissant, pour la première fois depuis 1614, les États généraux.
En 1788, l’institution des États généraux a vieilli de près de deux siècles. Le roi la fait réunir sans aucune modification préalable. L’autorité royale est largement diminuée par son incapacité à lutter contre les conservatismes et par les dégâts causés par le directeur général des finances, Necker, aux affaires à partir d’août 1788. Le roi, devant l’évidente inadéquation entre l’institution des États généraux et les évolutions sociales, se voit dans l’obligation de réformer, poussé comme il l’était par l’insistance du Tiers état. Les négociations ne mèneront à rien, le Tiers décide de mettre fin à la souveraineté royale. La Révolution est amorcée et devient inéluctable. Le Tiers crée un courant de pensée, le « parti national », qui à force de lobbying convainc le roi de réunir les États généraux, les conseillers duquel proposeront une réunion « sous la forme observée en 1614 ». Les États généraux seront donc réunis sans modification, nonobstant les profonds bouleversements sociétaux survenus entre 1614 et 1789.
Lorsque s’ouvrent les débats le 5 mai 1789, les députés du Tiers exigent la vérification commune des pouvoirs de chacun des députés. Ils remettent ainsi en cause la légitimité des deux autres ordres. La Révolution s’accélère. Le 12 juin, Sieyès propose à tous les députés de rejoindre le mouvement du Tiers, menaçant les absents de ne pouvoir prendre part au vote. Dès les 13 juin, des curés du clergé rejoignent le mouvement qui s’amplifie si bien que le 17 juin, le Tiers état s’autoproclame « Assemblé nationale ». La Révolution est faite. Le 17 juin 1789 est la seule et unique date de la Révolution française ; elle traduit le refus par le peuple d’être subordonné à la souveraineté du roi. Ce jour, et non le 14 juillet, le peuple, par l’intermédiaire de ses représentants, reprend le pouvoir souverain. Dans les jours qui suivent cette annonce, cent-cinquante membres du clergé rejoignent le mouvement, accompagnés de quarante-sept nobles. Le 27 juin, le roi commande l’union de la noblesse et du clergé au Tiers : il renonce à sa souveraineté et accepte la Révolution qui lui est imposée.
La Révolution correspond ainsi à la fois à la fin de la société d’ordres, qui est commandée par le roi le 27 juin lorsqu’il ordonne aux ordres de se réunir, et à la fin de la souveraineté royale qui permettait au roi de faire et de défaire la loi selon son bon vouloir. Contrairement à ce qui est encore largement cru, la Révolution ne signifie pas la fin de l’absolutisme mais sa seule mutation, d’un absolutisme royal en un absolutisme national et législatif. Le 9 juillet 1789, l’Assemblée nationale s’autoproclame constituante : cette démarche est illégitime puisqu’elle outrepasse le mandat impératif que les Français avaient confié à leurs représentants. La Révolution française de 1789, comme parfois les révolutions le sont, est illégale. L’Assemblée nationale constituante exerce un pouvoir illégitime et devient un absolutisme dans la mesure où elle décide seule de l’avenir du pays.
L’objectif de cette nouvelle Assemblée est d’écrire une Constitution qui garantisse l’expression de la volonté générale et la séparation des pouvoirs grâce à des règles juridiques correctement imaginées. Le climat insurrectionnel ambiant rendra cette rédaction des plus périlleuses. La première Constitution française, illégale parce qu’adoptée par une autorité illégitime en 1791, inaugure une liste de seize Constitutions appliquées dont la dernière a été adoptée, légalement par les citoyens français, le 28 septembre 1958.
Loin d’être la fin de l’absolutisme, la Révolution française marque en fait le début d’un nouvel absolutisme qui existe encore. Si la Révolution a fait naître un absolutisme parlementaire, l’absolutisme d’aujourd’hui ressemble plutôt à un absolutisme exécutif. L’exemple de l’application de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, hier, par le Premier ministre le montre. L’exécutif a le pouvoir de passer outre l’Assemblée nationale, c’est-à-dire de gouverner par-delà l’avis des représentants de la Nation. En théorie constitutionnelle pure, cet état de fait s’éloigne d’une démocratie. En pratique, il relève plutôt de l’adaptation de l’idéal démocratique à la réalité politique du pays.