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Et si la Constitution interdisait à Hollande et Sarkozy de se présenter en 2017 ?

Il n’a échappé à personne depuis plusieurs mois que l’élection présidentielle de 2017 sera dans une certaine mesure un remake de celle de 2012. En effet, François Hollande fait de moins en moins de mystère sur son intention de se présenter à sa propre succession, et la question ne se pose même plus pour Nicolas Sarkozy.

Il se peut cependant que le droit vienne empêcher ce combat de se produire à nouveau : la Constitution pourrait en effet empêcher Nicolas Sarkozy et François Hollande de se présenter en 2017.

Le 4 juillet 2013, Nicolas Sarkozy a annoncé qu’il démissionnait « immédiatement » du Conseil constitutionnel, dont il est membre de droit à vie (article 56 alinéa 3 de la Constitution). La question s’est ‘immédiatement’ posée de savoir si un membre de droit peut démissionner d’une autorité à laquelle il appartient à vie. Il est ressorti que le fait d’être membre à vie du Conseil constitutionnel interdit de facto toute démission de cette instance. En effet, le Conseil constitutionnel qui accueillerait la démission d’un ancien président de la République, membre de droit, violerait précisément la Constitution. Cela exclut également tout motif de désengagement que pourrait avancer une personne dans cette situation (ce qu’a fait Nicolas Sarkozy). Enfin, rappelons qu’il n’existe aucune procédure d’empêchement à l’encontre des anciens présidents de la République concernant leurs fonctions au sein du Conseil constitutionnel.

Somme toute, un ancien président ne peut ni démissionner ni être ‘renvoyé’ du Conseil constitutionnel, pour quelque motif que ce soit.

Dès lors se pose la question des éventuelles incompatibilités entre l’appartenance de droit au Conseil constitutionnel et les mandats électoraux. Examinons donc le droit positif.

L’article 57 de la Constitution interdit le cumul des fonctions de membre du Conseil constitutionnel avec celles de parlementaire ou de ministre. Les autres incompatibilités sont renvoyées à une loi organique (LO), prise en novembre 1958.

L’article 4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose ainsi que « les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles […] avec l’exercice de tout mandat électoral » et que « les membres du Conseil constitutionnel […] qui acquièrent un mandat électoral sont remplacés dans leurs fonctions ».

L’article 7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 renvoie à un décret pris en Conseil des ministres pour définir les obligations faites aux membres du Conseil constitutionnel.

Ainsi, l’article 4 du décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel dispose que « tout membre du Conseil constitutionnel qui entend solliciter un mandat électif doit demander sa mise en congé pour la durée de la campagne électorale. La mise en congé est de droit ».

Enfin, la loi organique n° 95-63 du 19 janvier 1995 relative à la déclaration de patrimoine des membres du Parlement et aux incompatibilités applicables aux membres du Parlement et à ceux du Conseil constitutionnel dispose, par son article 7 (point II), que « les membres du Conseil constitutionnel qui, à la date de publication de la présente loi organique, sont titulaires d’un ou plusieurs mandats électoraux pourront remplir jusqu’à leur terme les mandats qu’ils détiennent ».

L’application de ce droit positif est confuse, voire carrément inexistante dans certains cas. À la lumière de ces éléments de droit, il peut par exemple sembler que les élections du Président Giscard d’Estaing à la députation le 23 septembre 1984, puis en 1986, 1988, 1993 et enfin 1997 sont illégales.

Ainsi que le prévoit l’article LO 142 du Code électoral (codifié par le décret n° 64-1086 du 27 octobre 1964 portant révision du Code électoral – donc en vigueur au moment des élections de M. Giscard d’Estaing citées), « l’exercice des fonctions publiques non électives est incompatible avec le mandat de député », la fonction de membre de droit du Conseil constitutionnel ne faisant pas partie des exceptions limitativement citées par cet article.

Si donc la loi interdit clairement l’accès à la députation pour un ancien président de la République — en tant que titulaire d’une fonction publique non élective dont il ne peut se libérer — il semble qu’elle n’ait pas été respectée. Ajoutons que le fait pour VGE de ne pas avoir siégé au Conseil constitutionnel avant 2004 ne lui a pas ôté sa qualité de titulaire d’une fonction publique non élective qui aurait dû interdire ses élections. Cette application rigoureuse de la loi électorale aurait donc un effet pervers dont on peut se demander s’il était bien recherché par le législateur.

Il faut, en outre, relever un principe majeur que l’on déduit du corpus exposé plus haut. On a dit que l’article 4 du décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 ouvrait la voie à la participation des membres du Conseil constitutionnel à une campagne électorale, donc in fine à un éventuel mandat électif. Cette disposition doit être interprétée à la lumière de l’article 4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 qui précise que, si un tel mandat électoral est exercé, le membre du Conseil constitutionnel concerné a à être remplacé dans ses fonctions. Mais comment pourvoir au remplacement d’un membre surnuméraire dont le statut n’en fait pas quelqu’un de remplaçable ? Cette question conduit à imaginer que la possibilité de conquérir un mandat électoral avec ce remplacement en conséquence n’est ouverte qu’à l’endroit des membres nommés qui, eux, peuvent être remplacés.

Notons, par ailleurs, que l’argument qui consiste à dire que le membre de droit ainsi élu demeure en congé en tant qu’il exerce une activité incompatible avec la fonction de membre du Conseil constitutionnel se heurte au fait que ledit congé est prévu dans la seule hypothèse d’une campagne électorale : rien ne dispose les conséquences d’une victoire, si ce n’est l’article 4 de l’ordonnance dont on a vu qu’il ôtait intrinsèquement la possibilité aux membres de droit d’être concernés.

Outre la question de la cohérence des textes, dans le cas d’un ancien président de la République qui souhaiterait se présenter à nouveau à une élection présidentielle, le débat s’axe autour de la notion retenue de « membre du Conseil constitutionnel ». En effet, si on entend « membre » au sens de membre nommé alors la question n’a pas lieu de se poser : on accepte que le membre de droit ait un régime spécial pour le moment indifférencié par les textes et qu’il faudra que le Conseil constitutionnel éclaire. Mais si l’on entend le nom « membre » d’une manière générale (ce que l’absence de précision laisse entendre), et qu’alors le membre de droit est également concerné, les dispositions ci-dessus posent problème.

La LO du 19 janvier 1995, ainsi qu’il est expliqué sur le site internet du Conseil constitutionnel (rubrique « Statut des membres ») fait interdiction, dès après son entrée en vigueur, aux membres du Conseil d’acquérir un mandat électoral. Dès lors, si on retient que tout ancien Président de la République est bien un « membre » du Conseil constitutionnel, il n’a pas le droit de supporter le moindre mandat électoral. Par suite, un ancien Président de la République n’aurait pas le droit de gagner une élection présidentielle. On note ici tout le malice de la chose : il n’est pas interdit à un ancien président de se présenter, mais sa fonction au sein du Conseil constitutionnel lui interdit de gagner cette élection… ! Par cohérence, si interdiction il devait y avoir on imagine qu’elle irait jusqu’à la candidature : autoriser quelqu’un à se présenter à une élection qu’il n’a pas le droit de gagner n’a aucun sens.

En ce qui concerne Nicolas Sarkozy, le résultat de l’interdiction serait qu’il n’aurait pas le droit de se présenter à la présidence de la République en 2017 à cause de cette incompatibilité dont la Constitution l’empêche de se défaire. En ce qui concerne François Hollande, la question est plus difficile. S’il perd l’élection il devient membre de droit à vie du Conseil constitutionnel. Mais s’il la gagne, faut-il considérer que son mandat de président a été interrompu ? Le mandat est interrompu si on considère que dans le changement du mandat I au mandat II il y a une interruption de fait, mais il est ininterrompu si on considère que la fonction présidentielle ne supporte pas le vide et qu’elle est toujours portée par François Hollande.

Quoi qu’il en soit, l’interdiction de se présenter à une nouvelle élection présidentielle pour un ancien président pose deux gros problèmes. Le premier c’est qu’elle a été démentie par les réélections de Mitterrand et Jacques Chirac sans que ça ne pose de question à personne. Le second c’est que la Constitution prévoit expressément dans son article 6 la possibilité d’un second mandat, contredisant par-là notre lecture expliquée ci-avant.

Finalement, les difficultés relatives à la présentation d’un ancien président de la République à une nouvelle élection présidentielle sont axées autour de deux questions majeures :

– le membre de droit du Conseil constitutionnel, ainsi qualifié à vie, peut-il se défaire de cette fonction pour choisir de poursuivre une vie d’élu, ou faut-il déduire des textes que la Présidence de la République est une cartouche à usage unique ? ;

– les droits constitutionnel et électoral qui interdisent l’exercice d’un mandat électoral aux « membres » du Conseil constitutionnel concernent-ils tous les membres du Conseil ou simplement les membres nommés ? – auquel cas il faudra que le Conseil le précise clairement et que la Constitution soit révisée en conséquence.

Quelles que soient les réponses à ces deux questions, nul doute que le Conseil constitutionnel devra être saisi de ces problèmes pour stabiliser le droit applicable. Mais rassurez-vous, sa qualité de garant des institutions et de la stabilité du régime ôtera l’envie au Conseil de faire une application audacieuse (voire révolutionnaire) des textes.

Pour finir, signalons ici que la loi interdisait à Nicolas Sarkozy de devenir président de Les Républicains. En effet, l’article 2 du décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 interdit aux membres du Conseil constitutionnel « d’occuper au sein d’un parti ou groupement politique tout poste de responsabilité ou de direction ». Et cela, personne ne l’a souligné non plus.

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