Les particuliers face au numérique
« L’informatique doit être au service de chaque citoyen ». Ainsi le législateur annonçait-il en 1978 sa vision du rapport entre les particuliers et ‘l’informatique’. Quarante ans plus tard, alors que ‘l’informatique’ est devenu ‘le numérique’ à mesure que la notion s’élargissait, la question a pris une nouvelle tournure. Aujourd’hui, les particuliers sont exposés au numérique à chaque étape de leur vie quotidienne : en tant que citoyen d’abord, mais aussi en tant que consommateur, qu’entrepreneur, et en tant qu’individu socialisé.
La multiplicité et le caractère parfois invasif de ces rapports amènent désormais non plus à se demander comment les particuliers peuvent profiter du numérique, mais à étudier en tout premier lieu les moyens qu’ils ont de se protéger de ses dérives. Cette logique découle naturellement du face à face évoqué dans le titre « les particuliers face au numérique ».
Les rapports des particuliers au numérique sont ainsi quotidiens et de formes multiples (I) ; il découle de cette importance certaines dérives dont il est nécessaire de protéger les particuliers (II).
I. Les particuliers et le numérique, des rapports quotidiens et multiples
Le numérique est compris depuis longtemps comme un enjeu de société, par les pouvoirs publics comme par les particuliers (A), tant ses interactions avec notre vie quotidienne sont multiples (B).
A. Le numérique, un enjeu de société
L’immixtion de la question du numérique n’est plus si récente que ce que l’on croit. Dès 1978, le législateur adoptait une loi dite « informatique et libertés » qui posait les premières limites et encadrait l’utilisation des données informatiques des particuliers. Le décideur public avait déjà conscience du risque potentiel qui pesait sur les particuliers, et notamment de la valeur des données à caractère personnel.
La question du rapport entre les particuliers et le numérique se pose d’autant plus que la proportion des individus exposés au numérique grandit : aujourd’hui, 84% des Français ont accès à Internet. Le gouvernement a lui aussi pris la mesure de cet enjeu et a lancé la mission « Etalab » en mai 2011, par laquelle il a manifesté sa volonté d’ouvrir l’accès aux données publiques dans la perspective d’améliorer la transparence de sa gestion pour la rendre plus démocratique. Cette mission a abouti au lancement du site « data.gouv.fr » en décembre 2011 : l’État et l’Administration sont désormais des sujets que l’on peut analyser au travers de leurs données numériques, comme tout particulier.
Dans la société civile, le développement du numérique a permis en outre d’inverser le sens de diffusion des idées et des initiatives. Alors que celles-ci étaient auparavant diffusées verticalement et de haut en bas, le numérique permet au particulier d’innover par ses propres moyens puisqu’il a désormais les ressources pour inventer sans avoir à utiliser les moyens d’entreprises ou d’organisations.
B. Les interactions multiples des particuliers avec le numérique
Si le développement du numérique a offert de nouvelles possibilités aux particuliers, il a aussi donné de nouveaux moyens juridiques aux pouvoirs publics. Le législateur s’est ainsi saisi de ces possibilités pour améliorer les techniques de renseignement et de collecte de données. Les individus sont spécifiquement vulnérables à cette utilisation du numérique, notamment lorsque l’équilibre entre l’intérêt général et la protection des intérêts des particuliers n’est pas parfaitement trouvé. Mais le numérique a aussi permis de mieux protéger les particuliers, par exemple en favorisant l’exercice de certains droits comme les libertés d’expression ou d’entreprendre, ainsi que le souligne le Conseil d’État.
Le numérique a aussi démultiplié les possibilités des particuliers en matière économique. Le gouvernement est avisé de l’intérêt de la circulation des données publiques, il sait le dynamisme qu’elles apportent à l’innovation et à l’industrie. La libre et rapide circulation des données permet aussi le développement de tout un nouveau pan de l’économie, appelé l’économie collaborative. Le numérique révolutionne notre approche du travail et du statut du travailleur : le salariat n’est plus la seule forme de travail admise, elle accompagne désormais l’auto-entreprenariat et les échanges de services sur Internet qui échappent aux règles classiques du travail.
Les rapports sociaux ont également évolué avec l’essor des technologies numériques. De nouveaux liens entre les particuliers se sont créés ; on assiste au développement de formes non marchandes de collaboration. De la même manière, les réseaux sociaux ont pris une part importante dans les relations sociales : près d’un Français sur deux est un utilisateur de réseaux sociaux.
Enfin, le numérique interagit avec les particuliers par le biais des décisions politiques qui sont prises. Le décideur public intervient de plus en plus pour encadrer les effets du numérique dans la société. Le gouvernement a créé en 2015 l’Agence du numérique qui accompagne les projets dans ce domaine : son objectif est d’aider les particuliers à profiter au mieux des possibilités offertes par le numérique. D’aucuns avancent d’ailleurs que l’impulsion politique est essentielle pour le rayonnement numérique français : Philippe Lemoine, dans son rapport au gouvernement, soutient que « la France peut et doit avoir l’ambition d’infléchir le cours de la numérisation du monde ».
Il est ainsi contant que le numérique a un impact important dans la vie quotidienne des particuliers. Or l’importance de cet impact nécessite une régulation des activités pour protéger les particuliers des dérives.
II. La nécessaire protection des particuliers face aux dérives rendues possibles par le numérique
Si la protection des particuliers exposés au développement rapide du numérique demeure difficile (A), il conviendrait de mieux exploiter les possibilités offertes par le numérique (B).
A. La difficile protection des particuliers exposés au développement rapide du numérique
Le problème majeur que pose l’essor du numérique est la protection des données à caractère personnel. Le Conseil des ministres s’est penché sur la question en mars 2015 et a explicité son objectif de trouver un équilibre entre la nécessaire protection des particuliers, et la tout aussi nécessaire garantie de l’intérêt général.
Les juridictions de jugement utilisent l’arsenal juridique à leur disposition pour protéger la vie privée des particuliers de manière particulièrement bienveillante, mais elles posent aussi des limites qui peuvent être problématiques, s’agissant notamment des personnalités publiques qui ne sont pas protégées avec la même bienveillance que les particuliers. La protection par les juges connait également d’autres limites : ceux-ci estiment que des « actes d’une particulière gravité » peuvent justifier des atteintes ponctuelles aux libertés, comme le fichage des auteurs d’infractions de terrorisme.
Face à ces risques d’abus, le législateur a créé des organes chargés de la protection des particuliers. Ainsi la CNIL met-elle en oeuvre une réglementation sur les cookies, afin de protéger le particulier en sa qualité d’internaute et de consommateur ; dans un souci d’efficacité, la CNIL va jusqu’à publier des fiches pratiques à destination des professionnels pour les aider à se conformer à la réglementation. L’arsenal répressif est aussi renforcé : l’usurpation d’identité, par exemple, est désormais un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Le renforcement de la répression, en principe au bénéfice des particuliers, pose néanmoins la question suivante : les moyens employés ne finissent-ils pas par avoir des effets pervers ? Il est permis de s’interroger lorsqu’on constate que la loi sur le renseignement, votée à l’été 2015, ne pose pas de vraie limite aux opérations de surveillance : le contrôle des techniques de renseignement mises en oeuvre ne se fait qu’a posteriori, c’est-à-dire après que la violation de la vie privée ait été commise. L’exemple classique en la matière est la ‘boîte noire’ qui permettrait une surveillance massive des internautes dans le but de détecter quelques profils suspects : cette surveillance massive serait attentatoire aux libertés pour un effet finalement très relatif selon certains. Mais là encore, le Conseil d’État semble assez souple puisqu’il est prêt à accepter certaines pratiques dès lors qu’elles sont contrebalancées par des « garanties fondamentales » suffisantes.
Si la question de la surveillance par les autorités publiques pose problème, les particuliers sont aussi vulnérables face aux pratiques numériques des autres particuliers. C’est l’exemple de l’usurpation d’identité, souvent faite par des proches qui cherchent à nuire, ou par des sociétés commerciales aux pratiques abusives comme certains cookies.
Enfin, la généralisation des rapports numériques pose aussi des problèmes en matière économique. Les données à caractère personnel ont désormais une valeur économique. Au niveau individuel, la détention parfois inconsciente de ce trésor recherché exige une maîtrise de ses faits et gestes sur Internet. Par ailleurs, de nombreux secteurs économiques sont menacés par le numérique : on estime que 54% des emplois en Europe vont disparaître ou être profondément transformés par le numérique. L’accès au numérique qui diffère en fonction des zones géographiques entraine aussi des inégalités économiques entre les peuples.
B. Le numérique, porteur de certaines solutions aux problèmes actuels
Il serait une erreur de voir seulement dans le numérique un danger pour le particulier. Le droit a à apporter quelques règles pour permettre au numérique d’être pleinement efficace. En particulier, le droit commun pourrait être adapté, affiné pour tenir compte des nouveaux enjeux économiques et en faire profiter au mieux les particuliers.
La cohabitation heureuse entre les particuliers et le numérique passe aussi par une meilleure formation des individus aux techniques nouvelles. C’est l’objectif du gouvernement mis en oeuvre depuis quelques semaines avec la création d’un enseignement dédié à l’informatique en classe de seconde. Cela permettra aux nouvelles générations de connaître les possibilités qu’offre le numérique, par exemple de mieux comprendre notre histoire.
Le numérique est par ailleurs un puissant moyen de diffusion des libertés et de l’idée démocratique. La libre circulation des données combat la censure et propage le savoir, au bénéfice des populations soumises à des régimes répressifs.
Pour faire face aux difficultés de la protection des données à caractère personnel, il conviendrait enfin de créer un véritable droit de la personnalité numérique, comme il existe déjà des droits attachés au corps humain.
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Cette note de synthèse a été rédigée à partir du corpus documentaire proposé à l’examen d’entrée à l’école des avocats du barreau de Versailles, organisé par l’IEJ de Sceaux en septembre 2015.