Un avis du Conseil d’État en date du 10 février 2016 précise que les masters 2 (M2) n’ont le droit de sélectionner à leur entrée que s’ils figurent sur une liste limitative établie par décret. Un tel décret n’existant pas à ce jour, les services du Ministère sont en train d’en préparer un qui devrait être publié courant mai.
Les consultations ont donc commencé depuis fin février. Le professeur Guglielmi (Université Panthéon-Assas) précise que la Conférence des présidents d’université « a fait savoir que la liste acceptable par le Conseil d’État ne pourrait comprendre que de 30 à 40 % des masters ». Autrement dit, seul un M2 sur trois serait autorisé à sélectionner ses étudiants. Il est ainsi permis de s’interroger sur ce qu’il adviendra des M2 qui n’auront pas reçu cette autorisation. Ils n’ont évidemment pas les moyens d’accueillir tous les candidats, et comme il n’est pas prévu une augmentation de ces moyens on ne peut que craindre leur disparition à plus ou moins long terme. C’est donc potentiellement 60% des masters français qui sont menacés. C’est ce qu’il risque de se passer par exemple à la faculté de droit Toulouse 1 Capitole, dont le doyen a précisé qu’il ne pourrait ouvrir les masters à la rentrée si la sélection n’y était pas maintenue, faute de moyens.
Il existe bien une solution pour les M2 qui souhaitent continuer d’exister, sans pouvoir sélectionner et sans avoir les moyens d’accueillir tout le monde : le tirage au sort. Mais là encore c’est la mort à court terme de la crédibilité des M2 concernés. Par le tirage au sort, on montrera que le travail et le mérite ne pèsent en rien dans l’admission en M2. Une telle dépréciation du travail est insoutenable.
Qu’est-ce que révèle cette opération de sabordage de nos masters 2 ? Elle dit l’incompréhension par certains de la formation universitaire française. Ceux qui voient dans la sélection à l’entrée du M2 un élitisme malsain qui serait l’obstacle à la « réussite pour tous ». Ceux qui pensent que la sélection a pour effet de rendre inaccessible une formation académique de haut niveau. Mais que proposent-ils au juste, contre cette sélection arbitraire ? Ils proposent de sélectionner arbitrairement les M2 qui auront le droit de sélectionner !
Les M2 représentent aujourd’hui l’aboutissement de la formation universitaire. Qu’ils soient à finalité professionnelle ou de recherche, c’est la seule année sur les cinq passées en faculté qui forme les étudiants à ce qu’ils ambitionnent de faire ensuite. Par exemple, les étudiants du M2 Droit et pratique des relations du travail de la faculté Jean Monnet de Sceaux apprennent à rédiger des conclusions, à remplir une saisine de Conseil de prud’hommes, mais s’entraînent aussi à la plaidoirie et rencontrent des professionnels du droit à l’occasion de conférences thématiques. Cette formation pratique fait l’originalité de l’année de M2. Elle est à la fois un atout pour les étudiants qui en sont diplômés et une source de motivation pour les étudiants de M1 qui ambitionnent de l’intégrer.
En réduisant significativement le nombre de M2 sélectifs, on porte en réalité un coup dur à l’idéal de l’École de la République. L’université française offre à ce jour une formation de qualité pour un coût relativement faible pour les étudiants. Le coût d’une année universitaire est si faible qu’il provoque les suspicions de certains étudiants étrangers : pas assez cher pour être de qualité ! En face de l’université, les écoles proposent également une formation de qualité mais beaucoup plus onéreuse. Les M2 sont les dernières formations à sélectionner non selon la bourse mais uniquement selon le mérite des étudiants. L’École de la République est la seule chance pour certains, et ce sont eux qui vont pâtir les premiers de cette limitation de la sélection. Par ailleurs, réduire la sélection c’est pousser encore un peu plus ceux qui ont les moyens financiers vers les portes des écoles privées. Contrairement à ce que croient les (rares) défenseurs de cette diminution, l’élitisme en sortira renforcé. En diminuant de facto le nombre de places en M2 on prive la part la moins favorisée de la population estudiantine de la chance d’avoir un diplôme de haut niveau. On renonce ainsi au principe de l’égalité des chances qui fonde l’École de la République.
Du reste, on pourrait croire que la suppression de la sélection en M2 serait une excellente nouvelle pour les étudiants en M1 qui vont candidater en M2 cette année. Or c’est tout le contraire. Les étudiants qui seront admis en M2 cette année sans sélection courent le risque d’être moins bien regardés par les recruteurs. Selon l’année de votre promotion, que vous ayez ou non été sélectionné à l’entrée, votre diplôme n’aura plus la même valeur. Les promotions 2016 de M2 (admis en 2015) seront ainsi diplômées d’une formation sélective, par hypothèse d’un meilleur niveau (ou présumée comme telle) que les promotions 2017 (admis en 2016 sans sélection).
On a pu entendre çà et là quelques représentants d’associations étudiantes soutenir qu’il faudrait carrément supprimer le M2 ou conférer le grade de master dès la fin du M1. C’est non seulement contraire à la réforme LMD qui harmonise les cursus d’enseignement supérieur européens, mais c’est encore contraire à l’intérêt des étudiants des masters ‘nouveaux’ qui se retrouveraient avec une formation amputée par rapport aux masters ‘anciens’.
On l’aura compris, tout le monde a à perdre dans la limitation de la sélection en M2 : les responsables pédagogiques et des universités qui verront leurs formations perdre en attractivité et les étudiants diplômés et futur diplômés qui verront leur diplôme dévalorisé. Enfin, il faut souligner que cette perte de dynamisme serait aussi préjudiciable aux territoires sur lesquels sont implantées nos universités.
Le processus actuel de sélection en M2 connaît des difficultés et manque parfois d’efficacité. Mais le sacrifier ainsi n’est certainement pas la solution. D’aucuns imaginent par exemple de lisser la sélection en pratiquant un premier choix entre les étudiants à l’entrée du master 1. L’idée peut séduire en ce qu’elle permettrait pour certains une réorientation plus rapide, dès la fin de la L3, avant de se retrouver ‘bloqué’ à la fin d’un M1 sans obtenir de M2.
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NB : s’agissant spécifiquement des masters 2 de la faculté Jean Monnet de Sceaux, d’après nos informations toutes les mentions devraient rester sélectives.
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MAJ 27 mai 2016 : le décret du 25 mai 2016 relatif au diplôme national de master vient d’être publié. Il autorise la sélection à l’entrée en M2 pour la quasi totalité des mentions de Master 2. S’agissant de Paris-Sud / Paris-Saclay, tous les masters de droit sont autorisés à sélectionner. Bonne nouvelle !